Michel Tarrier présente...

 

Les Papillons, mémoire vive du Maroc

Trois décennies de lépidoptérologie marocaine

 

Ce site n'a pas qu'un objectif contemplatif pour faire aimer les Papillons du Maroc au grand public ou satisfaire la légitime curiosité scientifique des entomologistes, elle se veut aussi et avant tout une alarme quant à l'inquiétante et galopante disparition de ces insectes emblématiques, des plantes auxquelles ils sont liés et, d'une manière plus terrifiante, de leurs habitats, des écosystèmes et des sols.

N.B.: ce site a été composé en deux temps. Initié durant les années 2000, avec des documents photographiques argentiques émanant d'un matériel très basique, il a été repris tout récemment dans de meilleures conditions. Ceci explique la disparité qualitative de l'ensemble.

N.B.: this site was made in two stages. Initiated in the 2000s, with silver photographic documents from a very basic equipment, it was taken recently in better conditions. This explains the uneven quality of the whole.


Au Maroc comme ailleurs, les Papillons sont inexorablement repoussés par la pression d’activités humaines devenues envahissantes – érosion du sol ici, pollution chimique là-bas – causant l’éradication de leurs plantes nourricières, l’anéantissement de leurs habitats. Bien que la valeur des Papillons ne soit pas toujours perçue par le grand public, ils appartiennent au patrimoine naturel et culturel et en assurer la sauvegarde, c’est aussi concourir, par leur intermédiaire, à un processus général de préservation de la biodiversité. « Aucune espèce animale ou végétale ne doit disparaître à cause des activités de l’homme ». L’espèce humaine, qui porte en elle l’obligation biologique de tirer le meilleur parti de sa domination de la planète Terre, tient aussi le devoir moral de sa non-destruction. Tels sont les impératifs de « l’éthique verte », seule option pour un futur possible que l’on nomme maintenant « développement durable », euphémisme qui, dans l’art de la proclamation et du verbalisme d’apparat, signifie en fait « exploitation supportable », et en termes de décennies et de siècles ! Enfin, le biologiste sait que le Papillon est le reflet de ce qu’il y a dessous…


Ces excellents bio-indicateurs de la santé des sites nous viennent de la nuit des temps, avec quelques millions d’années d’âge, et nous racontent ainsi la grande genèse des peuplements, nous aidant alors à décrypter l’histoire de la Terre, et notamment celle de la « Maison du Quaternaire » que nous habitons. Les Papillons qui peuplent cet « extrême Maghreb du soleil couchant » appartiennent pour la plupart à la sphère faunistique atlanto-méditerranéenne. Ils ont donc une origine commune avec ceux qui volent en Europe, notamment méditerranéenne. S’y mêlent aussi quelques eurosibériens, témoins des climats plus froids et transfuges des dernières glaciations, présentement « coincés » dans les ultimes refuges orophiles des Atlas. D’autres encore, et assez peu en fait, sont des éléments afroérémiens et tropicaux. Par le jeu de l’isolement des reliefs et des contraintes climatiques, ces espèces originelles ont évolué au fil des temps et donné lieu à l’apparition de sous-espèces, de vicariants et d’endémiques. C’est ainsi qu’à l’instar des roches ou des plantes, mais à leur manière et peut-être mieux, les Papillons – mémoire vive et emblématique – peuvent nous raconter l’histoire d’un Pays comme le Maroc, en nous ouvrant une fenêtre sur le passé géologique et climatique. Sachons les « écouter » !


A 14,5 km de l’Europe, le Maroc est un pays de rencontres et de contrastes. Rencontre de l’Europe et de l’Afrique : et objectivement, on pourrait tout aussi bien parler d’Europe du Sud que d’Afrique du Nord. N’est-ce pas davantage l’actuel Sahara qui isole le Maghreb de l’Afrique vraie, que 14,5 km de mer de l’Espagne européenne ? Qui plus est sur le relief sous-marin peu profond d’une formation paléo-insulaire bético-rifaine continue… Mais tectonique des plaques oblige, le Maroc, est en Afrique ! Rencontres aussi de l’Atlantique et de la Méditerranée (façades et climats), de l’Orient et de l’Occident (civilisation), du désert et des cimes enneigées (géographie intérieure), du Sapin et de l’Arganier, de l’Ours et du Lion (faune climacique d’antan), de la Salamandre tachetée et du Cobra, du Vulcain et de la Mélitée du désert (nos Papillons !). Liste interminable et véritable mosaïque d’identités…, où les extrêmes se rejoignent. Par l’originalité de sa situation, le Maroc est ainsi le plus favorisé des pays de l’Afrique du Nord. La superficie du Maroc est de 710830 km2, dont 300000 km2 pour le seul Sahara occidental. Le domaine de la haute montagne est de l’ordre de 100000 km2, avec 4 chaînes principales (Rif, Moyen Atlas, Haut Atlas et Anti-Atlas), 400 sommets atteignant ou dépassant 3000 m. C’est aussi le « toit » de l’Afrique du Nord, avec le Mont Toubkal qui culmine à 4165 m. Et un pays de montagnes est un pays propice aux Papillons en raison d’une capacité d’accueil vaste et variée (microclimats des reliefs) et d’un grand choix d’habitats qui en résulte, attraits susceptibles de convenir aux exigences des espèces les plus diverses, depuis les hautes masses forestières humides jusqu’aux ergs sahariens brûlants, en passant par de multiples écosystèmes intermédiaires.


Une centaine d’espèces de Rhopalocères (Papillons diurnes) volent presque toute l’année au Maroc, où ils sont fortement tributaires des années pluvieuses,se faisant très rares les années sèches. Je vous propose les photos de quelques-uns, ainsi que des paysages où se trouvent leurs habitats. Ici, le risque majeur qui pèse sur l’appauvrissement de l’entomofaune est essentiellement celui de l’érosion du sol, du drame de la terre dénudée, « scalpée » de sa strate végétale et de son substrat humifère, altérée de ses propriétés physique, chimique et biologique. Ainsi, à chaque précipitation violente, « les prairies s’en vont en mer » car le sol nu est incapable de retenir l’eau : c’est l’effet néfaste du « lessivage ». Le sol est ainsi devenu une ressource très limitée, déjà en phase de pénurie. Les causes locales essentielles en sont le déboisement et des pratiques pastorales désormais sans discernement. Ce terrible surpâturage est le résultat d’un trop grand nombre d’ovins, incompatible avec les ressources limitées de systèmes pour la plupart arides ou semi-arides, l’infidélité des pluies agissant aussi comme un facteur limitant presque cyclique. La présence surnuméraire de la chèvre, prédateur non sélectif, occasionne aussi un grave saccage de la végétation. Cette tournure intensive de l’élevage, certes traditionnel mais jadis plus respectueux, est un phénomène assez récent qui résulte évidemment de la forte démographie du Pays. Quelques mesures sont lancées pour y remédier à court terme, notamment par le renforcement et la multiplication des sites protégés, des périmètres en défens et autres figures de conservation. L’essentiel du Pays profond, havre de nature, est heureusement (encore) loin des velléités du remembrement agricole, des abus de fertilisants et du matraquage chimique des biocides (en dépit des incessants encouragements masqués des multinationales spécialisées).

Ce n’est qu’en respectant les lieux de vie des Papillons et des plantes nourricières de leurs chenilles, plantes le plus souvent rares et sensibles, que l’on pourra lutter contre leur disparition. Les imagos (Papillons adultes) ne sont quant à eux qu’une ressource renouvelable (forte fécondité, courte vie) et leur protection « à la pièce », comme on le ferait pour un rapace ou un grand mammifère, est un modèle erroné. Cette méthode ne présentait que l’avantage démagogique de satisfaire une demande de la Société et les preuves de son échec sont désormais engrangées. La vraie protection des insectes est évidemment le travail des spécialistes que sont les seuls entomologistes.